Les meufs moches en salopette qui tirent la tronche dans la rue

Je commence à en avoir ma claque de ces abrutis qui nous bassinent avec les nanas dans la rue les jolies meufs souriantes les bonnasses en mini-jupes comme dernier bastion de la culture française, tout en se permettant d’invectiver pompeusement Daesh au sujet de comment chez nous, « nos femmes » elles ont plein de libertés alors ça veut quand même bien dire que nous on est les gentils de l’histoire.

Avant de te permettre d’aller donner des leçons, je te rappelle que « nos femmes » dont tu es persuadé qu’elles ont une vie dorée parce que t’es drôlement content de pouvoir mater leurs jambes dès qu’il y a un rayon de soleil, c’est dans notre beau pays et notre beau Paris qu’elles se font harceler dans la rue et tripoter dans les transports, c’est dans nos appartements et nos maisons où on trinque avec notre bon vin qu’elles se font violer gamines par leurs grands-pères et adultes par leurs copains et leurs potes et tabasser et tuer par leurs maris ou leurs ex.

Et quand tu nous écris un texte sur la merveilleuse France qui ELLE n’est pas obscurantiste parce qu’ON regarde les MEUFS dans la rue, tu me fous la rage, parce que tu n’es même pas fichu de te rendre compte que ton texte sur la France et sa victoire sur le sexisme, IL PUE LE SEXISME.

« On aime regarder les jolies filles qui passent en jupe courte », c’est ça ton pays post-sexisme ? C’est quand t’écris un texte qui veut rassembler la France en excluant la moitié de la population ? * La liberté des femmes que tu kiffes, c’est la « liberté » qu’elles ont de TE faire bander, point barre. Et y’aurait fort à parier que si la jolie meuf en mini jupe que tu croises elle a pas les mollets savamment épilés, tu tirerais la tronche illico.

Ce sexisme rampant qui me fout la rage depuis samedi, c’est aussi cet autre mec qui parle à son fils et se sent obligé de lui dire qu’il est drôlement content de vivre dans un pays où sa mère est BONNE, non mais sérieux où c’est tout à fait posé de parler à ton môme de comment t’as envie de tringler maman ? Après il dit des jolis mots sur maman qui a le droit de pas être d’accord avec papa, c’est beau merde. Il doit pas se rappeler qu’il vit dans un pays où si maman est pas d’accord avec papa et que papa lui fout sur la gueule en réaction, y’a neuf chances sur dix qu’il lui arrive jamais rien à papa ; et si papa viole maman, les statistiques sont encore plus insupportables pour certifier qu’il ne sera jamais embêté pour ça. Mais non, parlons plutôt du fait que maman est BONNE ! On est contents qu’elle soit libre parce que ça la rend BELLE et que c’est quand même le plus important ! Ça vous la coupe, hein, Daesh !

Votre culture française, si c’est ça LA culture française, c’est de la merde. Je la conchie cette culture. Et vos textes de merde mille fois partagés sur la CULTURE FRANÇAISE, supprimez-les bon sang. Vous savez le « we are wine we are non religious we are mini skirts » ? Dites donc bande d’abrutis, premièrement si on célèbre la culture française on pourrait commencer par écrire ce putain de texte en français ; deuxièmement toi qui vas répéter mille fois que tu veux unifier le pays et que tu ne veux surtout pas faire d’amalgames, t’as pas l’impression que dire « alcool mini jupes et athéisme » ÇA EXCLUT UN PEU UNE PARTIE DE LA POPULATION ? Et en-dehors de viser directement les personnes de confession musulmanes, ça en dit long sur la vision de pluralité que tu as de notre beau pays.

La France c’est boire du vin, ou du schweppes, ou du café, ou de la tisane, ou de l’eau, je m’en bats les reins, c’est boire ce dont j’ai envie parce que sérieusement est-ce qu’on en a quelque chose à foutre ? Et au lieu de célébrer ton putain de vin et ta putain de bière, tu peux peut-être commencer par arrêter de forcer l’alcool sur tout le monde et regarder de travers tous ceux qui prennent pas ton putain de vin ou ta putain de bière au bar, que ce soit parce qu’ils n’aiment pas ça, qu’ils voient pas l’intérêt, qu’ils ont pas la thune pour, qu’ils essaient de rester sobres, ou que c’est pas en accord avec leur religion.

La liberté dont tu nous rebats les oreilles, c’est porter des mini jupes des pantalons des sarouels des djellabas des jupes longues des jeans des voiles des kippas des robes des costards des bonnets et des après-skis, et pas JUSTE des mini-jupes, et si on porte des mini-jupes, croyez bien que c’est certainement pas pour faire plaisir à des mecs sirotant leurs bières entre potes au bar qui sont contents d’avoir la gaule en nous regardant la langue aux lèvres et qui nous font flipper si on croise leur regard parce qu’on sait qu’il y a des chances qu’ils se mettent à nous suivre.

La liberté c’est être musulman et chrétien et juif et agnostique et athée et foutre la paix au reste et à tout le monde. C’est rien en avoir à foutre de croiser dans la rue un mec en kippa ou une nana voilée ou un môme en jean, parce que franchement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ? C’est pouvoir dire qu’on prie pour les autres sans se faire engueuler parce que « ça va la religion, ON en a pas besoin en ce moment » ! Mais pour qui tu te prends, là ? « On », encore une fois, « on », c’est toi, c’est toujours TOI. Y’a des tas de gens à qui ça fait du bien de prier, à qui ça fait du bien de savoir qu’on prie pour eux, et tu es qui pour les juger, pour décréter que ça sert à rien, pour décider pour le reste d’un pays de soixante millions d’habitants qu’il faut les renvoyer dans les brancards ?

Vos « on », vos « we », vos « ta maman », c’est à gerber d’égocentrisme et de rejet de l’autre, de nombrilisme et de refus de la moindre remise en question, de célébration d’une société qui est encore criblée de problèmes tout en s’auto-congratulant que chez NOUS, ces problèmes, ils n’existent pas. Et on s’applaudit :

Parce qu’en France, chacun fait ce qu’il veut en termes de religion ! (Mais on préfère les athées, et planque moi cette kippa, et quelle horreur un voile, et on tague les mosquées et on va attaquer les djihadistes à coup de Cochonou, haha quelle marade.) Parce qu’en France, Lafâme est libre ! (Mais on fait des grandes envolées lyriques sur la France sans même mentionner les femmes, on demande quotidiennement à des inconnues de sourire dans la rue, et on critique celles qui ne mettent pas assez de vêtements révélateurs, et ok elles sont libres, mais elles sont surtout libres de coucher avec moi.) Parce qu’en France, on continuera à boire de l’alcool envers et contre tout, parce qu’on est les dignes héritiers des résistants ! (Et on va continuer de cracher sur ceux qui ne boivent pas, surtout s’ils ont le malheur de pas avoir une bonne excuse genre l’alcoolisme ou une intolérance grave, allez apéro saucisson-pinard !)

Tous ces gens avec leurs drapeaux tricolores en filtre devant leurs photos facebook qui hurlent à l’unité nationale et la solidarité et aux tous-ensemble et qui ne partagent QUE des textes donnant une seule vision de notre société, la leur, celle dans laquelle ils vivent, eux, leur petit confort, leur classe sociale, leur consommation d’alcool, de culture, de meufs à mater. Tellement, tellement peu de textes qui célèbrent le fait que ce qu’il nous faut, c’est plus de vivre-ensemble, plus de tolérance, plus d’ouverture, parce qu’il n’y en aura jamais trop, parce qu’on en manque encore cruellement !

Nos textes de réconfort, je les voudrais honnêtes. Notre solidarité, je la voudrais plurielle. Pas conditionnée à des critères qui ne correspondent pas à tant de personnes.

Daesh s’est attaqué à nos libertés ? Que ça ne soit pas une raison pour s’en satisfaire – quand on met la barre aussi bas que Daesh le fait, on n’a pas à se féliciter de faire mieux. Au contraire, que cela devienne une raison pour aller encore plus loin dans nos libertés, notre ouverture, notre tolérance, nos combats contre toutes les formes d’oppression, le sexisme, le racisme, la xénophobie, l’homophobie, la transphobie, l’antisémitisme, l’isamophobie, et tant d’autres sur lesquelles on a tous, tous encore énormément de travail.

* Oui parce que ton « on », la il inclut pas les femmes, à la rigueur les lesbiennes ou les bies, en excluant les gays dans ce cas là – mais soyons honnêtes, tu ne t’es pas mis une seconde à une autre place que celle d’un mec hétéro en écrivant ces lignes, alors je ne traiterai pas ton texte autrement.

Les meufs moches en salopette qui tirent la tronche dans la rue

Dire merci

Pour commencer, parce que cela devra toujours commencer par là : de l’amour à tous ceux qui souffrent, qui ont perdu quelqu’un, qui ont peur, qui ont besoin d’une étreinte, qui ont besoin d’être seul-e-s.

Maintenant, parce que, moi aussi, j’ai souffert, j’ai eu peur, j’ai pleuré et je me suis recueillie ce week-end, j’ai besoin de parler du positif :

Vendredi soir, des gens accrochés à Twitter malgré l’horreur qu’ils y voyaient passer ont envoyé leurs adresses, ont ouvert leur porte, ont accueilli des inconnu-e-s, ont relayé des infos, ont tenté de contrôler les rumeurs infondées, ont mis en relation des portes ouverts et des personnes errants dans les rues, ont démarré le hashtag #VoyageAvecMoi, ont fait circuler des avertissements.

Dès samedi, beaucoup ont continué le travail ou pris la main : ils ont partagé des avis de recherches, signalé les twits contentant des photos ou vidéos à ne pas voir, averti des journaux qui les relayaient, calmé les intox, redirigé vers les comptes de confiance, fait fermer des comptes qui voulaient faire du buzz sur les photos des disparu-e-s, essayé de tarir les flots des RT des personnes dont on avait enfin eu des nouvelles pour se concentrer sur celles dont on ne savait toujours rien.

Ce week-end, des gens ont accroché des cœurs sur la mosquée de Brest, d’autres sont allés poser des fleurs devant les devantures de lieux qu’ils fréquentaient ou non, pour des personnes qu’ils connaissaient ou non, la plupart ont posé leurs gerbes, pris le temps de se recueillir dans un silence bienvenu, puis sont repartis pour laisser la place aux suivants.

Dans des monceaux de conseils, de critiques, de raillerie pour telle et telle réaction, certains ont su ouvrir les bras pour dire haut et fort aux malheureux qu’ils n’avaient pas à se justifier de quoi que ce soit. Que chacun pouvait avoir besoin de gueuler, de pleurer, de poster des photos, de sortir, de prendre l’air, de se terrer sous sa couette, de voir ses neveux, de jouer aux cartes, de regarder des Disney.

Des gens ont crié « not afraid ! », d’autres se sont insurgés de voir des personnes sortir alors que ce n’était « pas recommandé ». Des gens ont dit qu’on n’était pas obligés de ne pas avoir peur, que c’était normal d’avoir peur. D’autres ont dit qu’on avait même le droit d’avoir peur et d’aller se recueillir si on en ressentait le besoin.

Beaucoup ont pris le temps d’envoyer un mot de soutien à des inconnus, sachant pertinemment l’impossibilité d’aider, en espérant qu’un océan de douceur ferait un tout petit peu de bien.

Tout ça, ce sont des gens qui ont d’abord pensé aux autres. À tous les autres. Je voudrais tous les citer ici, mais il y en aurait trop, ce qui est en soi une excellente nouvelle. En tout cas, ceux qui me lisent sauront ce qu’ils ont fait, et je les remercie de m’avoir aidé à passer ces quelques jours, moi et d’autres, grâce à leur bonté, leurs bras ouverts, et leurs mains tendues.

Il y a eu beaucoup d’autres gens, beaucoup d’autres actions nettement moins charitables. Mais ici n’est pas leur place.

Dire merci